Peindre : une manière d’être au monde entre chaos et épure.
Par la peinture, j’aspire à proposer un chemin d’émerveillement.
Qu’il soit de papier ou de toile, l’espace pictural est une géographie, un monde à habiter, une métaphore du monde réel. Je cherche à faire naître un objet-tableau qui recrée dans un lieu clos la perception physique et contemplative du monde que m’offre le paysage.
J’éprouve en effet le même plaisir méditatif à scruter l’horizon qu’à contempler un monochrome d’Yves Klein : c’est le même voyage, la même respiration, la même méditation !
Depuis toujours les grands espaces de landes et de déserts nourrissent mon travail.
Plus récemment, le végétal aussi est devenu le terroir de mon inspiration : je me plonge dans cet univers par le regard, par la marche et par le dessin. Je dessine in situ pour comprendre le vivant et capter de tous mes sens l’instant présent. Matisse parle du « travail, par lequel l’artiste s’incorpore, s’assimile par degrés le monde extérieur, jusqu’à ce que l’objet qu’il dessine soit devenu comme une part de lui-même… »1. J’emprunte un chemin renouvelé : de la broussaille à la tige, de la graphie à la peinture, du chaos à l’épure. Le dessin trouve son chemin à travers le chaos organisé du végétal.
Il y a le temps du dessin et le temps de la peinture, distincts mais intimement liés. D’exercice, le dessin est devenu source pour finalement s’intégrer dans le processus créateur.
Lorsque la gravure s’insère dans le travail, elle permet l’épure du trait, elle prépare le geste créant sur la toile les traces de graphite qui gardent la mémoire des écritures de mes peintures antérieures.
Le temps de la peinture est avant tout le temps de l’abstraction. Celle-ci est ma nature, mon évidence, et ma filiation. Les peintres expressionnistes abstraits américains forment un socle sur lequel ma peinture se construit. Je peins en écho à la verticalité de Barnet Newman, au « color-field » de Rothko, à la gestuelle foisonnante de Joan Mitchell, au « vide et plein » de Sam Francis ; là où le tableau n’est plus une représentation du monde mais devient monde, là où une forte relation émotionnelle à la nature nourrit l’acte créateur.
Mes mains alors, jonglent avec les pinceaux puissants et doux empilant les strates de couleurs. L’acrylique permet la superposition rapide et le jeu entre transparence et opacité. Je place, je caresse la peau du tableau, j’efface, j’inscris, je façonne la couleur-lumière, je capte la vibration du vivant. J’aime que l’idée fasse son chemin à travers les révélateurs que sont les outils et les gestes dansés sur la toile-tambour. Peindre est un acte du corps.
Il me faut aller à la rencontre de ma limite, la reconnaitre, et oser pousser jusqu’au vertige. Là se situe le point d’équilibre qui fait le tableau , juste avant la chute, quand apparait un vide de plénitude.
Par l’échange de regards, de l’œuvre au regardeur, du regardeur à l’œuvre, je tends la main à mes semblables, étape sur le chemin infini de la création où il me faut encore et toujours chercher à « désemparer le désordre»2.